Comment être un bon étudiant (Shibari / Kinbaku) par Andrea Kurogami

Nous parlons souvent des qualités pédagogiques et des compétences qu’un enseignant devrait posséder. Mais nous ne parlons pas souvent de la capacité d’apprentissage de l’élève.

Dans un premier temps, nous devons comprendre qu’apprendre et enseigner à un public adulte est très différent de l’apprentissage scolaire de notre enfance. Alors, pourquoi voulons-nous apprendre à attacher ?

Nous avons tous nos propres raisons, mais tous les étudiants devraient avoir un but commun : apprendre quelque chose et obtenir des résultats.

Est-ce qu’une manière efficace d’apprendre le bondage japonais existe ? Si oui, quelle est-elle ?

Je ne suis bien sûr pas capable de répondre à cette question ou du moins, je ne suis pas capable de pouvoir lui donner une réponse générale.

A ce propos, j’ai repensé à ma propre expérience d’apprentissage. J’ai retracé le chemin que j’ai suivi et que je suis toujours. J’ai de nouveau pensé aux différentes pédagogies que j’ai reçues et à la manière dont je les ai assimilées. J’ai décidé d’en mettre en exergue quelques aspects pertinents pour donner matière à réfléchir.

  1. Etudier votre motivation

Où l’intérêt cesse se perd aussi la mémoire

Goethe

La motivation est la base de l’apprentissage. Il ne s’agit pas de seulement se demander « pourquoi est-ce que je veux attacher ? ». C’est bien plus. C’est se demander pourquoi est-ce que je veux apprendre à attacher ? Qu’est-ce qui me pousse à le faire ? Où est-ce que je veux arriver ? Suis-je vraiment prêt à y investir du temps ?

Combien de personnes commencent à faire quelque chose et abandonnent ? L’exemple typique est tenter d’arrêter de fumer ou faire un régime : il n’y a rien de plus difficile que de continuer ce qu’on a commencé. C’est pour une grande partie dû à la perte de motivation. C’est pourquoi la motivation doit être continuellement nourrie : il est plus aisé de se donner des objectifs plus petits et réalistes. Une suite de micro-objectifs devient ensuite un macro-objectif !

2. Apprendre en suivant un modèle

Un autre pas fondamental pour les étudiants et de reconnaître leur modèle d’apprentissage personnel. Le bondage étant une pratique manuelle, l’apprentissage passe pour beaucoup par l’observation et la reproduction. Un modèle qui, je pense, me correspond particulièrement, a été théorisé par Albert Bandura : l’apprentissage passe par quatre étapes.

–              Observation

–              Mémorisation

–              Reproduction

–              Assimilation

Après avoir assisté à un workshop où j’ai appris quelque chose, est-ce que je sais vraiment ce que j’ai appris ? La réponse est : NON ! L’apprentissage finit par l’assimilation des concepts, compétences et tout ce qui peut entourer la pratique que l’on étudie.

3. L’importance des bases

Ce n’est pas possible de bâtir sur un sol meuble : nous avons besoin de fondations solides. Et plus haut sera le bâtiment, plus solides les fondations doivent être.

Avant de s’intéresser au bondage complexe, avant de suspendre, des bases robustes doivent être assimilées. Après tout, ce n’est que du bondage : ce n’est pas sorcier. Ces concepts de base ne sont pas nombreux et sont les premiers pas à effectuer pour continuer à étudier et progresser.

4. Une bonne pratique plutôt que de la pratique

La pratique est nécessaire pour assimiler les concepts. Par contre, la pratique peut être à double-tranchant : pratiquer des erreurs vous fera assimiler ces mêmes erreurs. Comment l’éviter ? Les discussions et comparaisons avec d’autres pratiques aident souvent mais personnellement, ce qui m’a le plus aidé c’était de me demander continuellement pourquoi les choses étaient faites d’une certaine manière. En d’autres termes, le sens critique. J’entends souvent les gens se plaindre qu’ils ne peuvent pas s’entrainer car ils n’ont pas de partenaire. Honnêtement, il est possible de faire beaucoup d’exercices pour améliorer grandement le maniement et de prendre confiance avec les bases. Quand j’ai commencé à étudier, Shiawase et moi vivions dans des villes différentes et je ne pouvais l’attacher qu’une fois par semaine, durant le weekend. Habituellement, j’arrivais à trouver le temps de m’entraîner et de pratiquer par moi-même deux ou trois fois par semaine, généralement en regardant une série télévisée.

5. Les difficultés et l’effet Dunning-Kruger

L’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif selon lequel les moins qualifiés dans un domaine surestiment leur compétence et font l’erreur d’évaluer leur aptitude cognitive comme étant plus grande qu’elle ne l’est en réalité. Le biais cognitif de cette surconfiance vient de l’incapacité de ces personnes à reconnaître leur manque d’aptitude. Sans conscience de soi et métacognition, ces personnes à faibles capacités ne peuvent objectivement pas évaluer leur compétence ou incompétence.

 

Parfois, plus nous pratiquons, moins nous savons attacher. Il est probable que certaines difficultés nous apparaissent comme insurmontables. Les difficultés doivent être prises comme des opportunités à la progression et non comme des obstacles. Nous apprenons toujours quelque chose à chaque difficulté rencontrée.

6. Un équilibre entre les cours et la pratique

L’offre éducative disponible est très large et étendue. Durant l’année dernière, j’ai vu plusieurs personnes prendre et suivre des cours avec parfois un rythme hebdomadaire. La plupart du temps, sans améliorations significatives. Comme je l’ai expliqué dans le point n°2, je crois fermement que la phase d’assimilation est fondamentale. Les hypothèses suivantes sont formulées suivant mon expérience personnelle.

J’ai commencé à attacher en octobre 2016. En l’espace de deux ans et demi, j’ai participé à huit workshops. En faisant une estimation grossière (pas si grossière que ça finalement) des heures que j’ai passé à recevoir de la pédagogie et à pratiquer, j’ai trouvé un ratio de 1 : 10. Ce qui veut dire que pour chaque heure d’enseignement reçu, j’ai attaché dix heures. Si je prends en compte seulement l’année 2018, le ratio monte à 1 : 15. En fait, j’attache beaucoup plus depuis que j’ai commencé à enseigner.

Mon conseil est : essayez de trouver votre propre ratio, mais gardez en tête que vous ne progresserez jamais en suivant seulement des cours.

7. Garder contact avec la réalité

Cela n’a pas d’importance si c’est une session de bondage ou seulement des exercices, garder contact avec la réalité est très important. Dans le point n°2, nous avons parlé du sens critique. Dans mon cas (et surtout à mes débuts), il m’était difficile de me rendre compte en temps réel si mon bondage était bon ou non. J’ai commencé à enregistrer mes sessions et à les visionner à tête reposée. Avoir la possibilité de rembobiner et de pouvoir les regarder plus d’une fois m’a aidé à comprendre ce qui fonctionnait ou non, ce que je devais changer et ce que j’aimais particulièrement faire.

8. Les points de repères

Pour moi, ils complètent le point précédent. Il est compliqué de « mesurer » le progrès en bondage. C’est une activité humaine dans laquelle il est difficile d’avoir des paramètres objectifs. L’attache la plus complexe et élaborée peut ne pas avoir la valeur d’une session à une corde. A ce propos, je pense que savoir comment j’utilise mon temps est primordial, qu’il y ait des améliorations ou non, cela m’aide au moins à comprendre si je dois changer quelque chose.

En utilisant des repères je peux « mesurer » mon progrès. Mon repère préféré est le temps : le temps que je prends à faire un double column tie, un futomomo, un TK. Le temps que je prends à verrouiller quatre lignes de suspension à la suite. Voir ce temps se réduire ou se stabiliser m’a aidé à comprendre beaucoup sur ma pratique.

Quelques précisions à propos du temps : quand je parle de faire un « TK rapide », je parle d’un TK bien réalisé, plus qu’acceptable et qui peut de toute façon être utilisé en suspension. Ainsi, je ne dis pas qu’un rigger doit apprendre à attacher rapidement sans autre but que d’être rapide : c’est pour ça que je préfère parler d’efficacité plutôt que de vitesse. Si je suis capable de faire un TK en moins de trois minutes, alors en véritable session je peux si je le souhaite faire un TK en cinq minutes, mais je serai en contrôle de la situation et bien plus capable d’apprécier le moment !

9. Workshops ou cours privés ?

J’ai commencé à étudier en un cours privés avec Guiseppe Ambrosia en 2016. J’en avais besoin car je voulais suivre un cours de Riccardo Wildties à Turin, fin 2016. Giuseppe m’a enseigné de très bonnes bases et m’a permis de participer à un cours de niveau intermédiaire. Le second cours privé que j’ai suivi était encore avec Giuseppe, une demi-journée en 2018, quand je voulais renforcer quelques bases avant de passer l’examen de certification Kinbaku LuXuria.

De manière générale, je pense que les cours individuels sont la manière la plus efficace d’apprendre. Mais c’est aussi la plus chère : généralement, un cours privé coûte bien plus cher qu’un workshop. Aux gens qui hésitent entre l’un ou l’autre, j’aime leur suggérer que suivre un workshop avec de bons enseignants pourrait être un bon point de départ. Commencez par apprendre les bases, ne vous focalisez pas sur un style ou l’autre. Après avoir trouvé le style qui vous correspond le plus, apprenez dans les workshops et prenez des cours privés pour affiner.

Jusqu’à maintenant, les leçons avec Guiseppe sont les seuls cours privés que j’ai pris. Le prochain est prévu en mars 2019, un weekend intensif avec Riccardo Wildties et Red Sabbath.

10. Comparaison et groupe d’étude

A l’été 2017 – motivés par le désir de nous améliorer – nous avions proposé un « groupe de recherche ». Nous nous rencontrions plus ou moins chaque mois avec trois autres couples, et nous attachions à tour de rôle après avec décidé d’un thème commun. Nous avons appris beaucoup de ces rencontres. La dynamique de groupe nous a aidé à affiner, partager des idées et des concepts. Nous avons ensemble fait face à nos doutes et interrogations.

En revenant au modèle de Bandura, nous sommes très inspirés par notre environnement et par les gens qui nous entourent. Ce modèle est connu sous le nom de « Théorie de l’Apprentissage Social ».

Pour être efficace, les personnes composant le groupe d’étude doivent avoir des niveaux similaires et bien sûr, leurs bases doivent être vraiment robustes. L’envie d’apprendre est nécessaire : un groupe d’étude n’est pas une rope-jam !

      11.  N’arrêtez jamais d’étudier !

N’arrêtez jamais, jamais. Particulièrement si vous arrivez à un bon niveau. Vous devez pratiquer – comme dans toute discipline – les choses évoluent donc nous devons rester à jour. Vous devez continuellement faire vivre votre bondage. Ce n’est pas comme faire du vélo : il est très facile (et dangereux !) de régresser.

12. Personne n’apprend pas en étant dorloté

Je sais que ce que je vais écrire est difficile à entendre et politiquement incorrect. Sans même parler de bondage, combien de personnes qui excellent dans leur travail ou discipline – j’ai bien dit excellent, qui ne sont pas simplement bons, mais qui atteignent l’excellence – ont eu une éducation « douce », sans moment durs, sans crises ni échecs ?

Je n’en connais personnellement aucune. De mon expérience, de la mienne et de ceux qui m’entourent dans mon travail quotidien, des gens que j’ai rencontré en faisant du sport et de tous ceux que j’ai rencontré dans différents cercles de vie sociale, habituellement celui qui est vraiment très bon à quelque chose a travaillé dur pour ça. Il a sué pendant les temps difficiles. Et il a presque toujours eu de la chance : il a eu quelqu’un pour le pousser, qui l’a critiqué, qui l’a fait grincer des dents.

En tant qu’ingénieur, sportif, rigger, je suis reconnaissant envers toutes ces personnes qui m’ont poussé et mis la pression quand mes résultats étaient bons mais pas les meilleurs. Je remercie toutes ces personnes qui au lieu de me dire « bon travail » m’ont montré mes défauts et points faibles, de manière à les transformer en points forts !

13. Auto évaluations en tant qu’étudiant

Demandez-vous toujours si vous étudiez de la bonne manière. La plupart du temps les gens vont en workshop ou en cours à cause d’une certaine inertie. Est-ce que je deviens meilleur ? Qu’est-ce que j’ai appris après le dernier cours ? Est-ce que j’ai vraiment trouvé ça utile ? Après une année d’études, ou suis-je et ou devrais-je être ? Est-ce que ma vitesse d’apprentissage a changé d’une manière ou d’une autre ?

C’est ma dernière et plus importante réflexion : si vous voulez devenir bon, ne demandez pas aux pros comment ils sont devenus bons. Partez à la recherche de personnes qui sont quasiment parties de zéro et qui en un an ou moins font de très bons bondages et demandez-leurs comment ils se sont entrainés et qui étaient leurs enseignants. Cela vous aidera beaucoup à trouver la manière la plus adaptée d’apprendre

Source Kinkyphilia